Monsieur le Président, chers collègues,
Avant de prendre connaissance des Orientations Budgétaires que vous proposez pour le département, je me posais une question essentielle : qu'alliez-vous faire de votre fameuse “bonne gestion” dans cette période cruciale ? Alliez-vous la mettre au service des habitants les plus fragiles de notre département ? Servirait-elle à soutenir les communes les plus petites, déjà affaiblies par les politiques d’austérité que l’État impose aux collectivités ? Notamment au travers des 10 milliards d’économies attendues, selon l’Association des maires de France. Ou ajouteriez-vous de l’austérité départementale à l’austérité nationale ?
Les causes du déséquilibre actuel des finances publiques sont bien identifiées. Elles résultent directement des réductions fiscales opérées par Emmanuel Macron depuis 2017, à destination des hauts revenus et des entreprises. Au lieu d’assurer et de financer l’égalité sociale et la transition écologique, l’Etat emprunte et s’endette en raison d’un modèle nuisible qui s’est basé sur des exonérations de cotisation, des réductions d’impôts ou des aides directes aux grandes, et très grandes, entreprises.
Pour rappel, il s’agit par an de 20 milliards pour le CICE (Crédit d’impôt de compétitivité des entreprises), 7 pour le Crédit Impôt Recherche (CIR), 5 pour le passage de l’ISF (Impôt de Solidarité Fiscale) à l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI).
La Cour des comptes a établi l’inefficacité de cette politique. De même, le Haut Conseil pour les Finances Publique affirme que l’effort principal doit se faire en majeure partie sur une hausse des prélèvements obligatoires. L’effort ne doit pas porter sur la seule diminution des dépenses, contrairement à la politique envisagée dans le Projet de loi finance 2025.
Si le rétablissement d’un équilibre des comptes publics est indispensable, les délais et les moyens que nous envisageons sont différents des vôtres.
Un contexte budgétaire difficile pour les collectivités
Les orientations budgétaires que vous présentez s'inscrivent dans un contexte où l'État cherche à compenser sa mauvaise gestion financière en demandant aux collectivités locales de faire de lourds sacrifices.
Ces décisions, prises par un gouvernement issu de votre famille politique, ont suscité des critiques virulentes. L’Association des Départements de France parle même d’« assassinat financier », l’Association des Maires de France évoque un « mensonge d’État » quant aux efforts réellement exigés. Le Président du Conseil départemental du Finistère, Maël De Calan, a repris certains de ces qualificatifs lors de la dernière session d’octobre et dénonçait le discours de l'État comme étant « à la limite de la malhonnêteté ».
Car ce ne sont pas 5 milliards, mais plus de 10 milliards d’efforts que l'État impose aux collectivités, entre la suppression du fonds vert, la réduction des investissements ministériels, ou encore l’augmentation des cotisations, des collectivités, aux retraites des fonctionnaires territoriaux ou hospitaliers (la CNRACL). Le projet de loi de finances risque d’entraîner un net ralentissement de l’activité économique du pays, avec une croissance potentiellement divisée par deux.
Cette conjoncture vous amène à suspendre le Programme de Solidarité Territoriale (PST), et à priver ainsi les communes de 16,5 millions d’euros d’aide en 2025.
Et vous l’envisagez notamment parce que vous vous êtes fixé un dogme : ne pas rendre le département avec un euro de dette supplémentaire. Que vaut ce dogme quand nous traversons une période inédite ? Que vaut ce dogme s’il ajoute de la difficulté à l’austérité ?
Des ajustements budgétaires nécessaires pour éviter un choc économique
Pourtant, une autre voie est possible, plus pragmatique et plus solidaire.
Nous vous proposons de soutenir l’économie plutôt que de freiner les investissements.
D’abord, la situation serait aujourd’hui moins difficile si, comme nous vous l’avions demandé l’an passé, vous aviez actionné plus tôt notre potentiel fiscal.
Nous avions plaidé pour une hausse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) : vous nous avez finalement écoutés ! Malheureusement, c’est un peu tard : nous devons faire un effort de 24 millions sur nos recettes cette année ? C’est le montant qui aurait été généré si le taux DMTO avait été relevé un an plus tôt.
Protéger nos communes et nos services sociaux en période de crise
Alors, comment protéger nos communes et nos services sociaux en période de crise ? Les collectivités sont les premiers investisseurs publics, les communes assument les deux tiers de ces investissements, le département devrait être un facteur de résilience, non un frein pour elles. Nous comprenons votre souhait de préserver la capacité de financement pour des secteurs essentiels comme les collèges et les centres médico-sociaux. Mais alors, pourquoi ne pas maintenir une part de cette aide aux communes, en priorisant par exemple celles de moins de 5 000 habitants, soit la moitié du territoire, ou celles de moins de 2 000 habitants, qui représentent 60 % des communes ? Une telle mesure permettrait de limiter l'impact économique et social de cette suspension.
Des dépenses de solidarité insuffisantes face à l'augmentation des besoins sociaux
Votre mandat devait être celui “du social”, et nous reconnaissons les efforts faits pour la protection de l’enfance. Toutefois, ces mesures semblent minimales au vu de l’explosion des besoins. Par ailleurs, alors que les dépenses de solidarité augmentent naturellement en période de crise, vous vous félicitez du fait que les dépenses de fonctionnement, en particulier sociales, soient de 14 % inférieures à la moyenne bretonne et de 19 % au niveau national. Que veulent dire ces chiffres ?
Vous prétendez faire mieux avec moins… Vous mettez en avant une baisse du nombre de bénéficiaires du RSA, le nombre le plus faible depuis 12 ans. Pourtant, cette diminution ne représente qu’un écart de quelques centaines de personnes, et il est essentiel de se demander si cette baisse ne masque pas un phénomène de non-recours au RSA ou une augmentation de la grande précarité. Le contexte de crise impose une vigilance accrue sur la situation de nos bénéficiaires. Nous questionnons la réelle portée de ce chiffre en tant qu’indicateur.
Comme nous le constatons depuis le début de votre mandature, le Morbihan est le département de Bretagne qui dépense le moins par habitant en budget de fonctionnement. Mais derrière ces dépenses, il y a des aides aux personnes, au paiement des factures d’énergie, des soutiens aux associations caritatives qui n’ont pas été réévaluées depuis des années… alors même que dans un contexte de précarité grandissante l’inflation touche d’abord le pouvoir d’achat des plus modestes.
De nombreux besoins ne sont pas satisfaits. Par exemple, en faveur de notre jeunesse en souffrance. Tout est nivelé par le bas : il manque des éducateurs dans les centres médico-sociaux, et aucun renforcement de la prévention spécialisée n’est envisagé.
Prioriser les investissements et recentrer le budget sur les besoins essentiels
Concernant les politiques que vous qualifiez de « volontaristes », autrement dit qui n’ont aucun caractère obligatoire au regard de la loi NOTRe, en faveur de la culture, du sport et de la promotion du tourisme, vous annoncez différentes sources d’économies.
Si certaines mesures nous paraissent recevables, comme la diminution des crédits alloués au tourisme et au nautisme, de même que la fermeture en année pleine du domaine de Kerguéhennec, d’autres nous questionnent. Quelle sera, en substance, la sélectivité des aides et subventions aux structures culturelles ?
Par ailleurs, il est surprenant qu’aucune mesure d’économie ne soit envisagée concernant le dispositif de subventionnement du patrimoine privé peu, ou non ouvert au public. Il s’agit pourtant bien d’une dépense absolument facultative, et qui est bien loin de profiter aux habitants du Morbihan…
Pour rappel… l’ensemble des subventions au patrimoine privé ont très fortement augmenté sous votre mandature : elles représentent environ 40% des subventions totales au patrimoine. Soit 5 millions depuis 2021. Des économies substantielles pourraient être réalisées à ce niveau. C’est pourquoi, nous vous demandons que soit rendu plus sélectif ce dispositif, dès 2025.
En conclusion
Le département du Morbihan, avec sa santé financière que vous louez si souvent, a la responsabilité d’amortir les effets de cette crise pour ses habitants et ses communes.
Je vous remercie.
Damien Girard - Président du groupe