Monsieur le Président,
Chers collègues,
Je m’adresse à vous aujourd’hui avec beaucoup de gravité et d’inquiétude.
Après son échec aux élections européennes, et dans un contexte où le Rassemblement national est arrivé largement en tête, Emmanuel Macron a décidé la dissolution de l’Assemblée nationale. Elle peut nous conduire dans deux semaines à voir notre pays dirigé par l’extrême droite.
La politique gouvernementale est disqualifiée par les Français, méprisés et brutalisés depuis sept ans par le Président. Il avait promis de faire rempart contre l’extrême-droite : il aura finalement été son tremplin. Il avait promis de, je cite « nous ressouder, d’éprouver notre humanité, de bâtir un autre projet dans la concorde », il aura finalement fracturé le pays, exacerbé les tensions et fragilisé toutes les formes de solidarité. Toutes ses réformes ont échoué. La France connaît toujours plus de pauvreté, les inégalités augmentent et notre économie n’a toujours pas pris le virage de la révolution écologique.
L’heure est grave : dans deux semaines, si son projet xénophobe et antisocial l’emporte, le Rassemblement national plongera la France dans l’abîme et le chaos, sans offrir aucune amélioration à la vie quotidienne de nos concitoyens.
Face à cette urgence, la droite et l’extrême-droite se vautrent dans un spectacle aussi désolant qu’irresponsable. Eric Ciotti et 62 candidats Les Républicains s’allient avec le Rassemblement National, François-Xavier Bellamy dit que “BIEN SUR” il appellera à voter RN en cas de duel avec le Nouveau Front Populaire, et Macron tape sur la gauche rassemblée autour des figures de Marine Tondelier et d’Olivier Faure. PIRE ! Il joue le jeu pervers de la réutilisation du vocabulaire d’extrême-droite, accusant la gauche unie d’immigrationniste et faisant preuve d’une transphobie décomplexée lors de son passage ici en Bretagne la semaine dernière.
Monsieur Macron piétine les recommandations du Défenseur des Droits, méprise les forces progressistes, comme il méprise les français depuis 2017.
Monsieur le Président, je vous le demande très clairement, il faut cesser cette campagne de diffamation que les droites mènent de concert. Le Nouveau Front Populaire s’est engagé fermement contre l’antisémitisme, chacune et chacun des candidats se sont engagés en signant des chartes pour rejeter tous les propos, comportements et violences racistes, antisémites, et toutes formes de discriminations. Tous les partis réunis se sont mis d’accord sur un programme ambitieux sur ces points.
Il n’y a aucune ambiguïté chez nous là-dessus. D’ailleurs qui peut penser ici que Raphael Glucksman aurait donné son accord s’il y avait eu ambiguïté ?
On ne peut pas en dire autant de la droite… Dans cette assemblée, quelques voix se sont levées contre le ralliement d’Eric Ciotti à l’extrême droite, mais elles sont rares. Si Monsieur Loas et Madame Perrault ont affiché clairement leurs désaccords avec le président LR sur leurs réseaux, votre famille politique regarde ses chaussures et continue de tracer, comme certains le font, un signe égal entre l’extrême-droite et la gauche. C’est un jeu dangereux que nous ne pouvons plus accepter.
Seul Dominique De Villepin porte une parole devenue trop rare à droite, celle qui incarne selon moi le Gaullisme: il réaffirme clairement que la véritable menace se trouve au RN et appelle expressément à un sursaut républicain, y compris en faveur du Nouveau Front Populaire.
Alors je vous le demande, en cas de duel Rassemblement National - Nouveau Front Populaire au deuxième tour des législatives, pour qui appellerez-vous à voter ? Serez-vous, comme Dominique De Villepin, à la hauteur de l’enjeu pour notre République ?
Si je vous le demande si simplement et si directement, c’est justement parce qu’à gauche, bien que nous ne soyons pas parfaits, et je le reconnais aisément car je suis partisan d’un débat public apaisé et responsable ; à gauche Monsieur le Président : il y a quelque chose sur lequel nous ne transigeons et transigerons jamais : c’est la République. Les dernières années en témoignent : d’élections en élections le peuple de gauche a toujours voté sans ambiguïté pour un candidat de droite dès lors qu'il était face à un candidat d’extrême droite. C’est simple, basique. Car nous ne jouons pas avec la vie de nos concitoyens qui seraient les premières victimes d’un gouvernement du Rassemblement National : je pense aux personnes pauvres, aux femmes, aux familles, aux étrangers, aux travailleurs, aux homosexuels, aux personnes trans. La gauche ne peut plus tenir seule le barrage. Il est de votre devoir moral de vous engager contre l’extrême droite. De notre côté nous ferons toujours barrage, dès que la situation se présentera et sans l’once d’une hésitation car la gauche, justement, c’est la défense de la République.
Vous nous attaquez sur l’alliance avec l’extrême-gauche : dans une décision du 11 mars 2024, le conseil d’Etat a tranché cette question en validant l’utilisation du terme extrême-droite pour parler du Rassemblement National. En revanche, il a redit que le PCF et LFI n’étaient pas des partis d’extrême-gauche, mais de gauche.
Vous attaquez allégrement le programme économique de la gauche unie – je ne peux pas dire que ça m’étonne de votre part. Nous n'avons aucune leçon à recevoir en matière de programme économique. Le bilan de la politique fiscale et budgétaire d’Emmanuel Macron est implacable : dégradation des finances publiques. Le déficit public est passé de -2,3 % du PIB en 2018 à -5,5 % en 2023, et la dette publique de 98,5 % à 109,9 % du PIB sur la même période. Ces choix ont coûté à l’État plus de 50 milliards d’euros de recettes fiscales annuelles, profitant principalement aux plus riches et aux grandes entreprises sans contrepartie.
En revanche, notre programme du Nouveau Front Populaire propose une stimulation économique pour atteindre le plein emploi en finançant des priorités stratégiques, comme l’ont fait d’autres pays. Des économistes comme Esther Duflo, prix Nobel d’Economie, ont d’ailleurs émis des avis positifs sur nos mesures, en particulier concernant leurs effets sur le comportement des ménages et des entreprises.
Revenons aux affaires qui nous concernent ici : les départements sont les chefs de file de l’action sociale. Si la digue cède, ils seront plus que jamais nécessaires pour garder à flot l’ensemble des citoyennes et citoyens. Avec cette dissolution irresponsable, le chef de l’Etat a balayé d’un revers de la main tous les travaux engagés. Catherine Quéric reviendra sur ce sujet, mais c’est le cas notamment de la commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance. Lors de la dernière session départementale vous aviez reconnu les difficultés du département sur ce sujet. L’Etat a choisi de capituler, nous devons plus que jamais nous en préoccuper. L’arrivée de l’extrême-droite serait une catastrophe pour la protection de l’enfance : l’ASE exclurait les enfants étrangers, et les familles étrangères seraient privées d’allocations familiales. Les conséquences sur la pauvreté des enfants seraient désastreuses.
L’autre secteur qu’Emmanuel Macron et son gouvernement mettent en péril de manière inconséquente, c’est celui du logement social. Le projet de loi Kasbarian 2 enterre la production de logements sociaux, alors que les demandes explosent. Inutile de dire qu’avec le Rassemblement national, la situation serait encore bien pire avec une préférence nationale dans l’attribution des logements sociaux, la relocation des passoires thermiques et la remise en cause de la loi SRU.
Sur notre territoire 40 000 personnes sont en attente de logement social. Les élus locaux que nous avons rencontrés en début d’année pointent le désintérêt de Morbihan Habitat pour les territoires ruraux : les projets de moins de 12 logements sont refusés, les demandes de réparation prennent plus de temps, les contacts ne sont pas identifiés… Ce n’est pas un hasard si le vote rassemblement national est particulièrement élevé dans nos campagnes : nos services publics les ont abandonnés. Alors nous le proposons ici comme nous l’avons fait à Mme Hortense Le Pape, présidente de Morbihan Habitat, la mise en place d’une planification du logement social sur l’ensemble du département, et nous demandons au littoral d’être solidaire avec la ruralité. Ceux qui ont plus doivent payer pour ceux qui ont moins. Nous devons remettre du service public et aller plus au contact de nos campagnes, pour casser la bulle d’extrême-droite dans laquelle certains de nos concitoyens sont enfermés.
Si l’extrême droite monte autant dans notre pays c’est le signe d’une démocratie abîmée. Abimée par les outrances, abîmée par les élus indignes, abimée aussi par la confiscation du débat public. Sur ce sujet, comme sur les autres, nous pouvons et nous devons agir. A l’échelle du département, de notre institution, il faut gagner en transparence. Depuis notre dernière session du 29 mars, nous avons relevé un certain nombre de sujets qui à notre avis auraient dû être traités en session plénière et non pas dans le huis-clos de la commission permanente. C’est le cas du projet de contournement du Faouët, du Tombolo de Gâvres, du débat sur l’éolien en mer ou encore l’expérimentation des fusions des sections soins et dépendance des Ehpad. La mobilité, la vie de nos aînés font partie de la vie quotidienne des Morbihannais, et même des sujets qui touchent à l’intime de nos vies. Ils doivent être débattus en toute transparence lors d'une session plénière.
Prenons exemple chez nos voisins. Dans le Finistère, les sessions durent deux fois plus longtemps que les nôtres. En Ille-et-Vilaine, jusqu’à 5 fois plus. Ce n'est pas le signe d’une inefficacité mais d’un débat possible et d’une démocratie qui fonctionne. Monsieur le Président, dans ces temps troublés, nous pensons qu’il est essentiel de remettre plus de débat public, plus de concertation, plus de transparence dans nos institutions. Il en va de notre responsabilité face aux citoyennes et citoyens que nous représentons ici.
Enfin j’en terminerai par l’exemplarité. Une des raisons de la montée de l'extrême droite en France, c’est la défiance des citoyens envers les élus et la politique. C’est pour cette raison que nous avons le devoir moral d’être exemplaires. Plusieurs affaires au sein de votre majorité entachent la réputation de notre institution : dans un article du Monde d’avril 2024 intitulé « Les dérapages du grand prix de Formule 1 de Christian Estrosi », nous avons découvert que l’un de vos vice-présidents avait reçu 652 000 euros brutes cumulés de rémunération entre juin 2017 et août 2020. Avec une particularité que Le Monde soulève, un salaire qui ne varie pas lorsque ce vice-président passe de directeur général à chargé de mission mobilité… Dans la même série, le tribunal correctionnel de Rennes a condamné la semaine dernière l’un des conseillers départementaux pour escroquerie. Monsieur le Président, les élus qui fraudent et escroquent déshonorent la politique, abîment le lien aux citoyens et les éloignent des urnes et des bulletins républicains. Il faut une parole et des actes forts contre les élus indignes.
Damien GIRARD - Président du groupe de Gauche et Écologsiste